« Tessa pose ton livre et viens manger! » Je relevais la tête de Don Quichotte de De Cervantès et je vis le regard de ma mère qui se faisait pressé. Ce soir-là il y avait mon grand-père et ma grand-mère à table, et j'essayais de me faire invisible. Je n'aimais pas ma grand-mère. J'avais du mal à lui sourire et à rire à ses remarques déplacées. C'était le genre de femme super méchante qui pouvait vous dire la pire méchanceté avec un sourire sympathique. Mon livre atterrit sur la table basse du salon, et je me leva plissant ma jupe – il fallait toujours que je porte une jupe quand elle était présente – et je me dirigea vers la salle à manger alors que ma sœur ainée descendit les marches quatre à quatre avant de foncer telle une fusée à la table: elle voulait son argent de poche venant de mes grands-parents. Elle allait encore acheter des tenues magnifiques qui lui allait. C'était une vraie princesse. Je pris place à ma place habituelle. « Je ne comprends pas pourquoi tu la laisse lire des livres. Elle n'apprendra rien dedans, tu sais très bien ce que je dis: une femme à sa place à la maison, pas dans la société. » Première remarque avec un énorme sourire. Ma grand-mère était du genre vieux jeu: elle avait convaincu ma mère d'être femme au foyer et d'élever ses enfants. « Je ne vois pas où est le mal maman. » « Sache que les livres, prendront possession de son être, ce sont des objets de l'enfer! » « C'est dingue, on dirait que tu es comme le curé dans Don Quichotte. » Je ris, pas elle. Je me tus, jouant avec les petits pois dans mon assiette: les petits pois c'était dégueulasse. « Un jour viendra l'heure, où il faudra que tu arrêtes tes sottises! » « Maman! » « Non, Angélique, regarde-là, avec son air rêveur, cela ne lui apportera rien! » La discussion continua toute la soirée. Oui j'étais une adolescente rêveuse, mais je ne voyais pas où était le mal du moment que j'étais heureuse non?

J'ai trouvé un homme aussi rêveur que moi. Lui avait envie de liberté, de vivre à travers le monde. Moi je ne rêvais qu'à travers les livres, mais on se comprenait. On s'aimait. Tout était parfait. On s'est marié à l'âge de vingt-deux ans. « Ce n'est pas un homme convenable! » « Oh, j'oubliais, tu n'es pas invitée. » J'avais annoncé cela à ma grand-mère lors de la soirée de fiançailles que mes parents avaient organisé. Evidemment, elle tira une tête comme si on venait de lui annoncer que les aliens venaient de débarquer. On a habité une petite maison, on a eu notre premier enfant: une petite fille. Daisy. Une petite blonde adorable et rigolote. « Tu sais un jour, j'aimerai vraiment faire un road-trip. » Il m'a dit ça, un soir alors qu'on était enlacé dans les bras de l'un et de l'autre sous la couette. « Et moi je rêverais de rencontrer d'Artagnan. » « Je suis sérieux Tessa. » je ne le crus pas. Cela faisait des années qu'il en parlait, mais pour moi ce n'était qu'un rêve parmi tant d'autres. On avait une vie de famille, on devait assurer le bonheur de notre fille et de notre futur bébé qui grandissait dans mon ventre. Pour moi la vie adulte trimait. Je donnais naissance à un fils, William. Aussi malin que son père. On était heureux, et pourtant je ne crus pas un soir ce qu'il me dit: « Tu sais l'histoire du road-trip? » « Oui? » [color=steelblue]« Avec trois copains ont a décidé de le faire. » Après tout pourquoi pas? « Ca dépend de combien de temps tu pars. » « Pas plus de trois mois, je te le promets. » « Très bien. » Il pouvait réaliser son rêve, et je le soutiens. Quand il a quitté la maison, avec sa valise et en embrassant les enfants en disant qu'il reviendrait avec plein de cadeaux, je ne savais pas que je venais d'ouvrir la porte de l'enfer.

Durant tout le trajet je me disais que c'était une plaisanterie de mon mari. Qu'il rigolerait avec moi au bout de dix minutes en me disant qu'il m'avait bien eu. Pourtant, en rencontrant le chirurgien et le médecin, je compris rapidement que je ne rirais pas, et qu'il ne rirait pas avec moi. Les mots coma, traumatisme crânien, pronostic vital engagé, résonnèrent dans ma tête. Je pleurais à chaudes larmes, en me disant que ce n'était pas possible. Durant le road-trip, un crétin avait fait une queue de poisson au meilleur ami de mon mari qui avait perdu alors le contrôle du véhicule. Quatre tonneaux. Le meilleur ami de mon mari était décédé sur le coup. Mon mari était dans le coma avec un traumatisme crânien grave, on ne savait même pas s'il allait survivre. Les deux autres copains, étaient aussi dans un sale état, mais ils s'en sortiraient. Je suis allée le voir dans l'aile soin intensif. En voyant son corps, là, inerte sur le lit, je me suis effondrée. Lui qui avait toujours un sourire aux lèvres et en train de rigoler, il était comme un pantin. « Pourquoi je t'ai laissé partir? Pourquoi? » Je m'en voulais. Je me rongeais les sangs pendant six mois. Six mois durant où je venais tous les jours, les médecins me disaient de ne pas me faire souffrir, mais je ne pouvais pas le laisser tout seul. Un soir où j'allais partir et où je tenais sa main et je le regardais, j'ai senti une main serrée la mienne, et comme si on venait de me piquer je me relevais renversant ma chaise. Il avait bougé j'en étais persuadée. C'était bon signe selon les médecins, et en effet, car deux jours plus tard il se réveillait enfin. J'étais en larmes, mais cette fois folle de bonheur. Il m'a regardé avec un sourire. « Je pense que la mariage on va devoir le reporter hein. » J'écarquillais les yeux. Le mariage? Le même qu'on avait fait il y a sept ans? Je tombais des nues. Me laissant tomber sur une chaise. « Monsieur, nous sommes en quelle année? » « 2004, pourquoi? » Sept années évaporées en quelques mois, dites-moi que je rêvais. C'était à moi de porter tout sur mes frêles épaules, mais j'étais prête à me battre. Pourtant cela voulait dire qu'il ne se rappelait plus de nos enfants et ce serait dur.

« Je ne comprends pas. » Je le regardais dans la cuisine. Un an que cette histoire avait eu lieu et bien que je lui avais mis certaines choses en tête: on était marié, on avait deux enfants et nous étions à présent en 2012, à certains moments il me regardait comme si j'étais folle. « Laisse tomber! » « Ah oui, j'oubliais que c'est de ma faute. » Depuis un an, on avait pas retrouvé notre complicité, tout n'était que tensions et je commençais à craquer. J'avais les mains qui tremblaient et je fis comme si rien n'était. Sa faute? Plutôt la mienne, je culpabilisais toujours de l'avoir laissé partir. Je n'aimais pas ce fossé qui se creusait entre nous. « En fait, j'aimerai bien refaire un road-trip. » Je me levais d'un coup en tapant du poing sur la table, chose surprenante pour quelqu'un qui était de tempérament assez calme. « Tu te moques de moi? » Je pleurais à présent à chaudes larmes. « Tu veux me faire revivre cet enfer? Six mois que j'ai eu peur de te perdre, et tu te réveilles avec des séquelles, tu as perdu ton meilleur ami dans cet accident et voilà que tu veux y retourner? Non pas question! » « Tessa... » « Non, je ne veux rien entendre! Je craque tu comprends? Je n'en peux plus! Chaque jour je suis hantée par cette vision de toi aux portes de la mort, et à ce que je vois tu t'en moques complétement! » Je claquais la porte de la maison pour aller m'aérer la tête. C'était compliqué, je haïssais le road-trip.

Silas G. Crowley a écrit:

AHN ET MOI J'ETAIS KEATON *out*