« C'est un cancer du sein » Le temps se fige. Il parait que le premier souvenir d'un enfant est une prise de conscience. Il parait qu'on commence à vivre quand on tombe amoureux. Il parait qu'on se rend compte de la mort la première fois qu'on doit dire au revoir à quelqu'un. Et quand on nous apprend qu'on est malade, ça fait quoi ? Ça change tout ? Ça ne change rien ? On fait quoi ? On va mourir ? On doit mourir ? On doit crier ? On doit pleurer ? C'est le silence autour de moi. Le médecin me regarde. Il me fixe. Je me sens nue, soudain. J'ai l'impression que cet homme connait tout de moi, qu'il m'a mise à nue. Ça me gêne. Plus encore que cette vague de silence qui m'enveloppe. Un cancer du sein. C'est quoi ça ? Ca implique quoi ? Je vois les lèvres du médecin bouger, sans doutes me donnent-ils des explications, mais je n'arrive pas à écouter. Les mots me volent au-dessus comme des corbeaux. Je sais juste que j'ai un cancer. Je me recule d'un coup. Il se tait, il me regarde. « Wow ! » Je n'arrive pas à dire autre chose. Wow. Un wow de choc, un wow qui implore le ciel que tout cela ne soit qu'un cauchemar. Un wow d'effroi. « Ne commencez pas à paniquer, vous savez, avec un bon traitement ... on peut guérir de tout. »Je repensais à ce grand oncle qui avait eu un cancer des poumon à cinquante ans sans avoir jamais touché une cigarette de sa vie. Où était-il déjà ? Ah oui, à Bishop Hills, au cimetière. Il n'avait pas survécu, le traitement avait été trop violent. Et le père de Carly-Rae ? Cancer du pancréas, la mort, aussi. Non, non, non, on ne survit pas toujours. Non, un traitement est aussi dangereux que la maladie elle-même. Je peux mourir. L'idée s'impose à moi, brouillant les paroles scientifiques de cet homme en blouse blanche. « Je ne peux pas ... je ... » J'essaie de parler, de lui dire que tout est trop rapide, trop effrayant. Je n'y arrive pas. J'ai l'impression d'être dans l'oeil du cyclone. J'ai froid. Je fuis. Voilà ce que je fais. Je prends mes jambes à mon cou. Je cours dans New-York comme une folle. Je cours à en avoir le souffle coupé. Je cours, je cours, je cours. Et quand je m'arrête ... quand je m'arrête je ne puis plus tenir. Je m'effondre au sol comme un avion en chute libre. Les larmes sont tranchantes comme des poignards tandis qu'elles déferlent sur mes joues. Je ne reconnais plus le monde. Non, ce n'est plus mon monde. Plus rien n'est familier. New-York est glacial. Le ciel est gris. Les gens sont mornes. Que le monde est laid. Que la vie est cruelle. Mon portable sonne. Ma mère. Je n'aurais jamais dû lui parler de ces légères douleurs. Que pouvais-je dire, maintenant ?Je sèche mes larmes, tentant de dissimuler les tressautements de ma voix dans le combiné « Salut maman ! » « Ah ! Alors, ce rendez-vous chez le médecin ? » Je me dis soudain que je n'aurais pas dû répondre. « Mmmm...on peut en parler un autre moment je ... je suis occupée là. » « Oh! eh bien, d'accord, très bien. Quand peut-on t'appeler ? » J'hésite à lui répondre jamais. Je m'abstiens. « En fait, je comptais passer d'ici quelques jours. » Ah bon ? « Oh ? Tu es sûre ? Et ton travail ? » Elle n'a pas tort. « Je n'aurais qu'à dire que je vais faire une enquête en ville. » « D'accord, eh bien on t'attend d'ici une semaine, tiens-nous au courant. On t'aime. » « Moi aussi je t'aime maman. Et papa aussi. Et Jackie et Calvin et toute la famille. » Ma voix se brise légèrement. « Tu es sûre que ça va ? Tu as l'air bizarre Lykke. » Ma mère est inquiète, ça s'entend. Ça se sent. « Oui oui, je t'assure. Vous me manquez. Je dois raccrocher, à bientôt. » Je raccroche. Et ça fait mal. Je sens de nouveau la douleur me submerger. Un cancer du sein. A vingt-cinq ans. Un cancer.

I DON'T WANT TO WAKE UP FROM THIS TONIGHT.